LA GAZETTE DE L'HÔTEL DROUOT, par Chantal HUMBERT
|
|
5 205 € frais compris.
Portrait au masque, tirage argentique anonyme d’époque, 24 x 18 cm. |
|
|
Gracq, dernier des écrivains classiques |
Moins
d’un an après sa disparition, l’écrivain Julien Gracq (1910-2007) se
retrouvait sous les feux de l’actualité. Après la remise officielle de
tous ses manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, la vente de
succession des collections provenant de l’appartement parisien de la
rue de Grenelle et de la maison familiale de Saint-Laurent-le-Vieil
était couronnée d’enchères exceptionnelles. L’ensemble recueillait près
de 900 000 €, 100 % des lots étant vendus à plus de 400 % des
estimations ! L’État utilisait soixante-cinq fois son droit de
préemption, à l’exemple des 93 000 € enregistrés sur l’importante
correspondance entre l’auteur du Rivage des Syrtes
et André Breton, en faveur de la bibliothèque Jacques Doucet. La
première lettre, datée du 13 mai 1939, commence par un aveu du peintre
surréaliste : "Je vous dois deux immenses plaisirs : j’ai lu d’un seul
trait sans pouvoir une seconde m’en détacher Au château d’Argol
et votre livre m’a laissé sous l’impression d’une communication d’un
ordre absolument essentiel. Il a pour moi tous les caractères d’un
événement indéfiniment attendu et depuis mon premier contact avec lui,
je n’ai cessé de lui découvrir des prolongements dans la sphère de mon
émotion." Quant aux dernières lignes, datées du 6 mai 1966, elles sont
écrites sur une carte postale envoyée de Quimper, quatre mois avant la
mort d’André Breton : "Jusqu’à ce quai qui garde trace de votre pas si
bellement mesuré tout au long de l’Odet sous les marronniers roses en
fleurs... Vous êtes de ceux qui SAVENT". La ville de Nantes faisait
quant à elle préempter le livret scolaire de son ancien "élève
d’élite", cédé pour 4 000 €. L’une des principales surprises fut
également l’ensemble de lettres, de dessins et de photos adressé à
Julien Gracq par René Magritte, le fondateur du surréalisme belge.
Annoncées autour de 2 500 €, deux lettres pulvérisaient les estimations
et nécessitaient 61 960 € frais compris. Avec une grande sensibilité,
l’une commente Le Beau Ténébreux ; dans la
seconde missive, René Magritte confie à l’un des "rares écrivains
vivants [qu’il] sache lire" ses difficultés à titrer ses tableaux. Des
écrivains contemporains, tel Régis Debray, des éditeurs ainsi que des
grands collectionneurs ont débattu avec ferveur les ouvrages de Julien
Gracq, enregistrant 154 000 €. Plusieurs éditions originales ont
d’ailleurs inscrit des records comme les 45 000 € du Rivage des Syrtes,
publié en 1951 par Corti à Paris. Au total, la succession Julien Gracq
remportait aussi un réel succès populaire. Plus de 2 000 visiteurs ont
fait le déplacement et, comme le remarque Me Henri Veyrac, certains
d’entre eux, au budget modeste, ont "pu repartir avec un souvenir du
maître, tel ce lampadaire de la rue de Grenelle adjugé 20 €"... |
Nantes, mercredi 12 novembre. Couton & Veyrac SVV, en présence de Me Thébault. MM. Lhermitte et Bodin. | |