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Aymeric Rouillac
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29 octobre 2008

TOUTE UNE VIE A L'ENCAN

LE BLOG DE PIERRE ASSOULINE : http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/10/29/poste-tsf-5080-euros/

                                                 p742804d542522g_apx_470__w_presseocean_.1225315021.jpgAllez savoir pourquoi, cette lecture m’a attristé, vraiment. Ce n’est pas un livre mais un catalogue. Celui de la vente “Succession Julien Gracq 1910-2007″ que je vous avais récemment annoncée. Dans la perspective du 12 novembre, j’ai donc reçu le menu des réjouissances. Les commissaires-priseurs nantais Couton & Veyrac ne sont pas en cause, non plus que les experts Emmanuel Lhermitte et Thierry Bodin. Il s’agit de la tristesse que suscite toute dispersion, et de la tristesse supérieure qui s’empare de nous lorsque le volatilisé nous fut familier, soit par sa personne, soit par son oeuvre, soit par les deux.

    Passe encore pour les livres d’André Breton, éditions originales sur beau papier dédicacées, ou les éditions bibliophiliques richement illustrées de Gracq même. Classique. Le coeur se serre au chapitre suivant lorsqu’on découvre les correspondances et les tableaux qui ornaient ses murs. L’émotion est plus forte lorsqu’on sent que les collectionneurs traditionnels, une âme de brocanteur et de la graine de spéculateur, se détourneront. Les photos sépia. Celles de l’album de famille. De la classe de 1ère au lycée Clémenceau à Nantes. D’un voyage en amoureux à Venise ou ailleurs avec Nora Mitrani. D’un dîner de copains chez Françis Ponge. On a l’impression de violer l’intimité de cet intraitable discret. De son vivant, tout cela était intouchable. Vie privée, jardin secret. On n’entre pas et ce fut respecté. Le plus bouleversant est pour la fin : ph00mn11.1225315049.jpgc’est le chapitre “Mobilier”. Là, on sent bien qu’il ne restera plus que les fétichistes et les revendeurs dans la salle. D’ailleurs, les estimations de prix, qui paraissent assez moyennes dans l’ensemble, semblent là franchement basses. Son fauteuil club en cuir marron (200/300 euros). Son bureau en bois au piètement en X (1000/ 1500 euros). Son téléphone en bakélite noire, sa bibliothèque, ses lampes, ses valises…  Le lot No323 m’a bouleversé, allez savoir pourquoi : son poste TSF gramophone “La voix de son maître” (50/80 euros). Et le No 421 aussi : un simple jeu d’échecs en plastique et plateau souple, le moins cher du marché, avec des carnets dans lesquels ce joueur solitaire, qui dirigea un club en Bretagne durant ses débuts de professeur, recopiait les parties historiques qu’il étudiait ensuite. On en ignore le prix mais on en sait la valeur.

    A-t-il vraiment voulu ça ? Quand on songe à toute les institutions d’archives littéraires (Bnf, Imec, Bibliothèque Jacques Doucet…) qui aurait pu l’accueillir si les pouvoirs publics s’en étaient vraiment mêlés ! Impitoyable comme un inventaire après décès. Au fond, cette liquidation permettra peut-être de tourner la page d’une certaine façon. Pour mieux retrouver l’âme de Julien Gracq là où elle n’a jamais cessé d’être. Chez José Corti et successeurs, libraires-éditeurs à Paris, face aux grilles du jardin du Luxembourg, 11 rue de Médicis.

(Louis Poirier, élève de 3ème au lycée Clémenceau à Nantes en 1924-1925, photo D.R.; “Julien Gracq chez André Breton, 1961″, photo Henri Cartier-Bresson)

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