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Aymeric Rouillac
Aymeric Rouillac
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28 mars 2003

ÎLE D'ARROUAD

Pour se rendre sur l’île de d’Arrouad il faut prendre un bateau sur le quai du petit port de pêche de Tartous. Un bateau en bois blanc, coque rouge à fleur de flots et lignes de flottaison jaunes nous y conduit en vingt minutes. On laisse vingt livres à terre, on prend place à côté de familles ou de copains qui viennent y passer la journée et puis on se laisse bercer par les ronronnements du moteur. La coquille de noix trace à travers les vaguelettes qui deviennent vagues. Alors que la barque s’éloigne du rivage, la ville s’étend lascivement et lentement sur plusieurs kilomètres. Bien plus grande que ce que je pensais. Arrouad n’est toujours qu’un bout de terre qui se rapproche au large. Nous frayons maintenant avec de gros rafiots libanais qui achèvent une vie de cabotage, de tours du monde et d’aventures dans cette rade qui n’en est pas une. Ils viendront un jour s’échouer sur le rivage, et pourrir la plage pour de nombreuses années. Sentiment étrange de petitesse et de dégoût face à ces monstres de papier, de containers et d’acier. Les yeux plongés sur l’horizon une surprise de taille attend le flâneur. En regardant vers le sud, en plein dans les nuages, au dessus de la mer, des cimes enneigées apparaissent. Elle culminent à 1500 mètres d’altitude, et marquent le début de la montagne libanaise. On se sentait tout petit au pied des cargos, me voici ramené à une dimension bien plus humaine, face à la nature, et non plus face aux lubies de l’homme qui voudrait la dominer. Qui ne réussira dans ce cas précis qu’à la ravager. Wahou ! Vision très impressionnante.

Le débarquement se déroule sur un petit port lui aussi charmant. Une statue d’Hafez al-Assad attend au bout de la jetée. « Salut Vieux ! » Il a le visage rassurant de Big Brother dans le roman d’Orwell. Comment ne pas partager un sentiment de confiance à la vue du héros révolutionnaire, père tortionnaire, dirigeant visionnaire ? Mort et enterré. L’idéologie lui survivra tant que la machine du parti l’entretiendra. Pas de soucis pour lui. L’île est toute petite et complètement habitée. Comme de l’autre côté du bras de mer, les insulaires ont utilisé les pierres trouvées sur place pour bâtir leurs demeures. Il y a le choix ! Enormes blocs phéniciens, qui servaient à protéger l’île voilà quelques millénaires, et forts croisés rivalisent de défi à l’imagination. L’ambiance de ces forts en rénovation est reposante. Murmures des ouvriers au loin. Ils m’ont laissé passer parce que Français, et refuseront tout pourboire. Hauts-parleurs des mosquées, nous sommes vendredi, Palestine et Irak. Souffle du vent dans les arbres qui apaise la cour, torpeur du soleil et rires étouffés d’enfants qui m’épient. Fraîcheur de la  salle des gardes, décorée de cheminées franques ; surplomb du chemin de ronde, qui s’étend à perte d’eau vers l’ouest. Les rues sont étroites, les maisons hautes, les rideaux tirés sur une après-midi familiale. Des enfants partout jouent dans la rue. Taux de  reproduction impressionnant sur cette île. On ne doit pas s’y ennuyer longtemps. Les filles se promènent sans hijab, les garçons sont amoureux ou rigoleurs, les maisons bleues et blanches. Vieille pierre du bout de la Méditerranée. La vie est douce.

Une petite sirène joue sur les rochers. Elle s’appelle Rima, est morveuse à souhait et s’est installée un matelas face à une boite en carton, jouant avec une télécommande déglinguée à la télévision. La silhouette de pêcheurs, au loin, se reflète sur un miroir marin. Le soleil est à son zénith et un hors-bord passe à quelques encablures. Rima est sauvage, « made in Africa » me diront de grands garçons en souriant. Elle m’apprend des jeux et des mots nouveaux. Tape dans la main et pose comme une star. Montre ses dents blanches, et le trou béant laissé par les deux de devant, qui viennent juste de tomber. Ebouriffée et bronzée. Comme je me détache d’elle pour discuter avec des curieux, voilà qu’elle lacère son matelas à coup de griffes et de dents, en extrait le coton et joue à la tempête de neige avec un petit garçon. Vogue la neige, tombent les flots. Violence du vent et de l’enfance. Rima est sauvage. Elle me baise les mains puis la joue, s’enfuyant dans une cascade de claquettes. Laissant là le spectacle éventré d’un après-midi ensoleillé. Rima est sauvage. Les heures qui suivent se jouent entre les chantiers navals, une mosquée ravagée, deux ados un peu collants de prévenance, un restau à poisson au-dessus du port, un cimetière marin aux grosses tombes blanches, gagnées par les herbes folles. Elle se finit après un retour sans histoire au « Café du Moulin à Vent » avec un narguilé et un verre de thé face au coucher de soleil. Plein ouest sur la mer « Mon enfant ma sœur, si nous allions là-bas vivre ensemble, aimer à loisir, aimer et mourir au pays qui te ressemble. »

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Aymeric Rouillac
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