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Aymeric Rouillac
Aymeric Rouillac
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22 mars 2003

SIT-IN DANS L'INDIFFERENCE A LA FAC ET NOYAUTAGE DE LA MANIFESTATION

Voila deux semaines que les étudiants protestent sur leur campus contre la guerre en Irak. A la fac de Mazzé, le groupe des grévistes stationne au pied de la statue monumentale d’Hafez Al-Assad, à l’ombre de drapeaux syrien, palestinien et irakien.  Extrêmement sensibles aux bombardements en Irak, et hostiles à l’impérialisme américain, ils vivent ces évènements comme une épreuve personnelle « Les bombes se fracassent dans ma tête comme elles pleuvent en Irak », les empêchant de se concentrer sur leurs études. La quasi-totalité des étudiants ne participe pas à ce mouvement. S’ils peuvent donner l’image de « baba cool » à l’occidentale, les grévistes restent extrêmement déterminés dans le bon droit de leur action. « Les Etats-Unis gagneront la guerre, mais et nous savons que nous remporterons la partie car la paix est la seule issue valable. » Ces jeunes idéalistes ne se rendent pas compte de la crainte qu’ils inspirent au régime « Je ne suis personne, qui aurait peur de moi ? Même si nous étions toute l’Université dans la rue nous ne serions toujours qu’une assemblée composée de gens qui ne sont rien ! » Toute la journée, le sit-in rameute pour les manifs du soir. La musique, les drapeaux et discussions d’une minorité ne semblent pas affecter la vie de la société étudiante. L’université est à l’image de la rue syrienne : passive.

Sur Abou Roummaneh les équipes de policiers antiémeutes ont été triplées, interdisant toute idée de confrontation aux manifestants. Les arrestations de jeunes Palestiniens ont porté leurs fruits. Leur groupe d’aujourd’hui est calme : ni provocation ni tentative de sécession pour gagner l’ambassade des Etats-Unis. L’itinéraire suivi est celui d’une marche officielle, se dispersant devant la statue de Saladin, le fameux vainqueur des Croisés. La direction des opérations a été discrètement prise en main par un mouvement se présentant de « la société civile » habillé en blanc. Ses membres se sont imposés à la tête du cortège, dirigeant la marche à son insu. Pour la première fois depuis trois jours la foule s’est tue pour écouter un homme, le cheik Jaoudat Saïd, religieux soufi de Kuneitra[1]. Son discours est un discours panarabe huilé. « Nous sommes une nation de 300 millions d’arabes qui parlons la même langue. Qui sont-ils ces 12 états (ceux de la coalition) qui parlent douze langues différentes pour s’attaquer à l’un des nôtres ? Nous devons montrer à la face du monde la beauté de notre civilisation, et construire une nouvelle organisation des Nations Unies car l’ancienne a failli à sa mission de paix. » La foule écoute religieusement. Exit les drapeaux américains brûlés, les chefs d’état arabes traînés dans la boue, les envies d’aller casser l’ambassade américaine. Ses trois mégaphones éloignés, le cheikh rend son maillot blanc, comme les manifestants en blanc, à une femme qui les plie dans un carton. Un tel unanimisme et une telle organisation tranche avec l’ambiance des jours précédents. La spontanéité a été tuée.

                  

L’enseignement à tirer de ces journées est l’exemplaire prise de contrôle des manifestations par le régime. Elle se décompose en trois temps : répression, dissuasion, manipulation. Répression avec les nombreuses arrestations de têtes brûlées palestiniennes et la présence écrasante de la police antiémeute aux premiers jours de la guerre. Leçon numéro 1 : on ne défie plus le pouvoir. Dissuasion ensuite des moukhabarat, qui étaient partout à fureter, écouter, noter, recueillir les tracts et se renseigner sur les gens. Leçon numéro 2 : si vous continuez nous avons les moyens de vous briser. Manipulation enfin, grâce à la récupération par des éléments, manifestement, téléguidés d’un mouvement spontané. Leçon numéro 3 : initiative et autonomie sont les privilèges du régime Baas.


[1] Kuneitra est le chef lieu du Golan, occupé par Israël en 1967, restitué après avoir été complètement détruit en 1974, suite aux accords de désengagement militaires syro-israélien.

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Aymeric Rouillac
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