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Aymeric Rouillac
Aymeric Rouillac
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18 mars 2003

GEORGES BUSH, CHAUFFEUR DE TAXI A DAMAS, LICENCE N°922

On croise en Syrie toutes sortes d’énergumènes. Hier dans un café, un garde du corps de Bachar m’a proposé de passer l’après-midi avec lui. Baraqué comme une armoire à glace, costume noir, chaussures noires, lunettes noires. Men In Black. Il a au poignet une montre à l’effigie du président, dans sa poche une carte d’entrée pour les palais de la République, et un énorme pistolet qui fait une bosse sous sa veste. Cette après-midi fut délicieuse. Nous avons arpenté le grand souk Hamidiyeh, en nous pourléchant de glaces en cornets, alors que lui sautait sur toutes les filles qui passaient.  Il y a encore ce producteur de la BBC rencontré au hammam. C’est un arabe en imperméable écossais qui parle avec un accent « british » inénarrable. Très fin de prononciation, replet à souhait, avec une curieuse face rougeaude d’Ecossais chaleureux. Un chauffeur de taxi m’a fait mourir de rire lorsqu’il m’a donné à lire son état civil. La trentaine bien tassée, son père a eu la bonne idée de l’appeler George, alors que son nom de famille était Bush ! George Michel Bush, taxi n°922 pour vous servir. Ça aurait été le 911 je crois que j’aurais envoyé un portrait à Libé.

Les rencontres s’accélèrent à un rythme de fou. Il y a les gens qui font partie du paysage et dans le paysage desquels on finit par s’inscrire. Comme l’épicier, le vendeur de kebab,  Maher du café Internet, et tous ces artisans que je revois pour le plaisir. C’est tellement bon de descendre une rue en serrant des mains et échangeant des sourires. Souvenir d’un bon moment passé ensemble. Il y a un vieil homme qui fait des bougies splendides, pleines de mystères et de couleurs, et qui se souvient de son français appris sur les bancs de l’école, à l’époque du mandat français. Deux frangins préparent des falafel[1] en t’apprenant le nom des ingrédients, et,  dans une minuscule boutique un homme énorme, qu’on ne peut que surnommer Quasimodo, monstrueusement gentil, au langage français châtié. En quelque sorte l’arabe du coin de ma rue. Il y a ceux que je rencontre sans espoir de les revoir rapidement, même sans espoir tout court, pour le plaisir d’une discussion et le hasard d’une prochaine rencontre. Il y a ceux que je reverrai rapidement, étrangers et syriens rencontrés par exemple lors d’une soirée terrible. Arabisants et orientalistes, narguilés et alcool, simplicité et violon irlandais.

Il y a Yazan. Je le quitte à peine et demain à 11 heures nous nous retrouvons. C’est un syrien de 22 ans bientôt, qui étudie le français. Grand, beau, regard franc et clair. Son nom est perse et signifie chevalier valeureux. Il le porte à ravir. Nous nous sommes rencontrés à la sortie d’un conte organisé par le centre culturel français. Nous nous sommes promenés dans la vieille ville puis assis dans un café devant lequel je suis déjà passé deux fois alors qu’il était complet. Il y connaissait tout le monde. Nous avons parlé de la France, de la Syrie, de la meilleure façon pour lui d’étudier en France. Je pars demain passer la nuit dans un monastère perché sur une montagne, il me dit « Tu salueras Kamal de ma part. » J’apprends plus tard en parlant de nos familles que Kamal est son père, et qu’il devient moine ! Yazan refuse d’être une photocopie, cultive sa singularité, sa spiritualité et sa personnalité. Un fan de Paulo Coehlo. 

Il y a ceux que je veux revoir, Samuel, un étudiant français, brillantissime,  rencontré à l’Institut Français d’Etudes Arabes de Damas, qui prépare un mémoire sur les successions. Il a déjà mille problèmes avec la police secrète syrienne, les moukhabarat, et le conseiller culturel français l’a tout simplement envoyé paître ailleurs. Hier soir j’ai emmené Flo au hammam. Florent est mon nouveau coloc, c’était sa première fois aux bains. Je l’avais prévenu de la grande misère sexuelle d’un des garçons avec qui je m’entends pourtant bien. Pas de chance ! Alors que je me fait masser, Flo arrive en panique dans la pièce en s’esclaffant « Je me barre, l’autre est en érection ! » Fou rire. Les étrangers comme moi qui vivent à Bab Touma, italiennes, allemandes, iraniens, français et autres, ne sont pas ici par hasard, mais curieux d’une langue, d’une culture et d’une civilisation sans égal. Nous sommes une communauté qui se connaît sans trop se fréquenter, sur la même longueur d’onde.

Et puis il y a tous les inconnus. Ceux qui l’étaient et qui le resteront. Souvenir gravé dans

mon cœur pour l’éternité. Ce vieil alcoolique rencontré dans un village de montagne, qui en ouvrant une bouteille d’arak, tandis qu’il était déjà raide, a refusé de me laisser partir « Je suis ton père, tu es mon fils et ce soir tu dors à la maison ! » Il fallait après cela se taper une petite marche pour contempler une icône peinte par St Luc il y a deux mille ans. Impressionnant de voir un type qui a connu le Christ le peindre dans des brocarts d’or, richement vêtu, boucles dorées de gamin, visage limite blasé. Si c’est l’image fidèle du type à la gloire duquel il a écrit un évangile, alors ce que nous en disons aujourd’hui est à revoir. Car Bilad al-Cham, pays du Nord mais du soleil aussi, s’apprécie tout autant pour ses habitants que pour ses trésors du passé. Il me parle à chaque instant. Simplement. Heureusement.

[1] Falafel, boulette de fève, sandwich national des classes laborieuses arabes.


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