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Aymeric Rouillac
Aymeric Rouillac
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10 décembre 2000

WANAUME EN PRISON, AU FOND DU PLACARD DE LA POLICE CENTRALE

Trois heures du mat j’ai des frissons, je r'monte les draps mais le téléphon son. La réception nous réveille comme convenue bien avant l’aube. Quatre heures de route nous attendent pour rejoindre Amman, et y régler une bonne fois pour toutes nos questions de visas saoudiens. A neuf heures tapantes, le consul de France nous remets en mains propre une lettre de recommandation très engagée. Mme le consul souhaite ni plus ni moins que, pour le bon fonctionnement des relations consulaires avec l’Arabie Saoudite, nos visas soient renouvelés. A la lecture de la lettre, le fonctionnaire de l’ambassade saoudienne blêmit. Il se précipite à l’intérieur de l’immeuble diplomatique. Cette ambassade est en effet l’une des rares, sinon la seule, à recevoir ses visiteurs sur le trottoir. Le cerbère ressort rapidement. Il vient de sceller dans une enveloppe officielle notre sauf-conduit. Un autre saoudien nous guide alors vers le consulat, en centre ville.

Une foule de plusieurs centaines de personnes attends déjà devant la porte. Le tumulte est phénoménal, les soldats jordaniens chargés d’assurer la sécurité des lieux ont du mal à se faire respecter. Des hommes tendent vers les factionnaires leurs formulaires. Ils viennent de le rédiger grâce à l’un des nombreux écrivains publics qui pullulent dans la rue. La cohue est monstre, la porte d’entrée filtrée au compte-gouttes. Durant le mois du Ramadan, les demandes de visas liées au pèlerinage de La Mecque décuplent. Nous nous imaginons mal fendre la foule des croyants avec autorité. Notre guide s’en charge, il remet Sébastien entre les mains des soldats, qui l'introduiront en force dans le consulat. Il est dix heures. Tom et moi restons dehors, épatés. Le consul à su trouver les mots justes. Thomas est même tellement bluffé par la vision de Seb au cœur de la foule qu’il commet l’irréparable. Coup de folie, il sort l’appareil photo numérique…

En un rien de temps trois photos sont prises. Il hisse alors l’objectif au-dessus de sa tête, à bras levés, pour immortaliser l’entrée de Seb. La vidéo de trop, la cerise sur le gâteau. Un cercle de regards anxieux se creuse autour de nous, « pas de problèmes dit Tom, ils nous aiment ». A peine a t-il rangé l’appareil dans sa poche qu’un gaillard débarque…

Les ennuis commencent !

L’homme est grand, son regard clair rehausse le Keffieh rouge noué sur la tête. Il est vêtu d’une veste de ville, sa cravate orange étant la seule pointe de couleur. La moustache bien taillée s’arrête à la commissure des lèvres. C’est un homme qui a l’habitude de poser des questions, qui a l’habitude qu’on y répondent. « Where are you from ? » « Why do you take this picture ? Do you know that it’s not allowed to take photographs of security places… ». La discussion continue en anglais. Bien que Tom et moi identifions rapidement le quidam comme un policier, ils se présente comme « a citizen person » (sic).

Le deuxième bureau, la police secrète, surveille de près les ambassades. Habituellement les gens craignent que nos deux Land Rover ne soient celles de mourabarat, Aujourd’hui c’est un vrai flic en chair et en os qui nous appréhende. L’homme commande aux soldats de saisir la caméra. Nous ne pouvons pas lui présenter nos passeports. Ils sont entre les mains de Sébastien. L’angoisse. Finalement Seb sort du consulat pour vérifier nos identités. L’affaire s’envenime. Il est onze heures et demie, nous n’avons pas nos visas. Nos passeports sont entre les mains de la police et l’appareil numérique se balance négligemment dans la foule, retenue à la dragonne par le capitaine de la place. Situation de crise.

Nous tentons de parlementer, peine perdue. Finalement le comandant de police nous monte dans un car qui pars à vive allure direction le commissariat. Première audition. On nous trimballe de bureaux en bureaux à la recherche d’un traducteur. Au dernier bureau du dernier étage traîne un bon vieux flic, comme il n’en n’existe plus que dans les films. « Non nous ne savions pas qu’il était interdit de photographier une ambassade. Oui nous regrettons. Désolé mais il est impossible de vous restituer le film. C’est un appareil numérique. Par contre nous pouvons vous photographier si vous voulez… » « Oh my God. » Le policier est sympa, ces collègues l’écoutent traduire. Un mot revient sans cesse. Saudi Safara. Ambassade saoudienne. Les supérieurs débarquent les uns après les autres. Une, deux, puis trois étoiles sur les galons. L’adjoint du colonel en personne reste lui même perplexe. La prière de mi journée clôture l’interrogatoire, un gradé prie dans un coin. Le monde s’arrête. Toutes les têtes que nous avions mémorisées ont subitement disparu. La méditation porte conseil : c’est bien connu. Un jeune appelé nous interpelle. Nous le suivons. Est-ce enfin la liberté ?

A la sortie, un taxi, dont les portes arrières sont condamnées, nous attends. Le flic monte à l’avant. Interdiction de parler. Nous ne connaissons pas notre destination, on plaisante « Ca doit être le transfert de la Santé à la Cité ! » L’arrivée est des plus surréaliste. Le mot n’est pas trop fort : le soldat nous intime de payer le taxi ! Refus collectif. Tom et Seb planquent leurs portefeuilles, Aymeric parle de droit international. « Fermes-la Aymeric, tu ne sais même pas de quoi tu parles. » L’appelé paye puis nous sommes fouillés devant une guérite. L’interdiction des portables n’empêche pas Thomas de conserver son couteau de poche. Nous rentrons dans une petite maison anodine dans un quartier tranquille, montons l’escalier et sommes poussés sans ménagement derrière une porte dérobée.

Ca y est, nous y sommes ! Ce n’est pas un gag, nous voici en taule. Sept autres types nous accueillent « Salam Aleikoum, welcome in Jordan ». Pièce de garde-à-vue pour tous les individus louches de la région, certains encore menottés. On se retrouve avec un irakien, un égyptien, un type encore dont la voiture à été retrouvée ce week end à la frontière israélienne… Nous échangeons quelques mots lorsqu'un garde entre en hurlant, nous sommant de nous taire. Il ne semble pas nous parler, tout le monde se tait, nous rigolons doucement. Un autre policier vient démenotter un de nos compagnons de misère. Comme disent les autres « vous les Français, vous ne risquez rien ». Ils regardent Thomas, incrédules « Comment a-t-il put faire ça ? » Au bout d’une heure de ces regards complices et conversations clandestines, nous sommes les premiers à sortir du trou. Salut les gars, Good Luck to you.

Deuxième interrogatoire, plus poussé. Nous avons cette fois affaire à la section des services secrets chargée de l’identification des suspects peu communs. Pas des crimes ou délits, mais une attitude bizarre. Seb est interrogé le premier, puis Thomas, puis Aymeric. Les mêmes questions se répètent de l’un à l’autre, le fonctionnement du matériel dévoilé. Au moment où Tom propose au Big Chief d’effacer les photos litigieuses, la panne de batterie survient. L’appareil a été trituré toute la journée par des grosses mains incultes, alors forcément il se lasse. C’est grâce à une panne opportune que vous pouvez contemplez maintenant ces photos inédites. Les images ("roots / en images") ne sont pas vraiment des photos de grands reporters, elles n'ont même absolument aucun intérêt. En revanche, ce qu'elles ont déclenché leur donne une autre dimension, ce sont ainsi souvent les circonstances qui font les grandes images…
Nos différentes versions des faits collent. Ces mourabarat sont plutôt cool, si ce n’est le jour de jeune imposé. Ils nous relâchent donc à trois heures de l’après-midi, au bout de cinq heures de tensions et d’incertitudes. Le chef nous promet de donner des ordres pour nous faciliter l’entrée de l’ambassade demain… on y croit … La caméra nous est rendue, nos passeports aussi. La brillante leçon que nous venons de recevoir nous marquera pour longtemps.

Aymeric

NB : les photos ont reçu le grand prix Thomas Millet de la meilleure photo VTN (Vraiment Trop Naze)

Aymeric

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Aymeric Rouillac
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