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Aymeric Rouillac
Aymeric Rouillac
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11 novembre 2000

Mon Mehmet à Moi

Mehmet II le conquérant fut le pivot de l’épopée ottomane, mon Mehmet à moi est lui aussi un personnage clef de la Turquie actuelle. Nous l’avons croisé par hasard, alors que nous nous étions perdus à une centaine de kilomètres au sud d’Ankara. C’était à Gölbek, aux confins de la Cappadoce et de l’Anatolie centrale où la terre se confond avec l’hiver et où la brume des no man’s land glace de froid les bêtes qui voudraient se cacher. Il est entré tranquillement dans la pièces ou nos hôtes servaient le thé, sourire roublard au coin des lèvres, kalashnikov à la main. Surprise générale, éclats de rire. Nous nous saluons puis il s’assoit autour du plateau ; nous veillerons ce soir.
L’expression fort comme un turc est juste taillée pour lui. Des cheveux grisonnants disparaissent sous sa casquette tandis que sa moustache et ses sourcils touffus adoucissent 125 kilos de muscles bien pesés. Ses yeux sont sombres et sa peau tannée par le soleil ;derrière ses habits de paysans il jubile, le regard pétillant. Comme dit Marie »il est imposant de nonchalance ». La conversation continue, captivante, autour de ce nouveau pôle. Si son annulaire reste libre Mehmet nous parle de sa fille partie travailler en Hollande, la consécration. Lui même a voyagé à travers la Yougoslavie, l’Autriche, l’Allemagne… Il est le seul du groupe à lancer de temps à autre quelques mots d’allemand, le linguiste du village. Mehmet c’est aussi un bon musulman, tolérant face au laxisme religieux de son frère mais rigoureux avec lui même, répétant cinq fois par jour les rites de la prière, ne buvant pas d’alcool. Son pistolet mitrailleur ? C’est pour se protéger d’Apö biensur ! Abdulah Occälan est en effet le thème récurent de toute conversation. Apö, il faut le tuer. Large travelling contre le mur blanc vers l’ennemi invisible. Tatatatata. Les kurdes sont des terroristes, ils viennent la nuit avec des bombes qu’ils jettent dans les maisons dont ils ont défoncé la porte pour y tuer les femmes et les enfants... C’est pourquoi Mehmet veille sur sa maison et celle de son frère quand la nuit tombe, c’est grâce à ses rondes qu’ils n’y a jamais eu de problème Kurde au village, serein il raccroche le fusil dans un coin. Pour preuve il me montre l’épaisseur du linteau de la porte, blindage de pierres cimentées par de la terre le tout enduit de chaux ; l’aspect sécurisant et chaleureux retient le chaud comme la fraîcheur tout au long des saisons. Là n’est pas la question, on parle de vie et de mort. L’oncle –Apö- a été arrêté il y plus d’un ans et demi maintenant. Il est en prison, où son procès exemplaire devait réduire à lui seul les dernières poches de résistance d’un peuple apatride. Le danger n’est pas pour autant écarté ; Mehmet ne trouve pas le sommeil. Il tempête contre cette sous race qui ne devrait pas être digne de faire partie de l’Europe : les italiens ! Ils ont eut le malheur d’accueillir Occälan et ont refusé de l’extrader vers la Turquie pour qu’il y soit jugé. Romano Prodi est rapidement voué à tous les maux de l’enfer, la voix redevient soudain plus grave, posée. Chirac, lui au moins c’est un ami de mon pays, l’ami d’Eccevit. Turcs et français nous sommes frères, Kardesh. Voilà le personnage, haut en couleur, généreux et à l’emporte pièce comme je l’aime. Il devient l’homme phare au moment des élections, car là Mehmet le valeureux délaisse le flingue pour le bulletin de vote. C’est là qu’avec Mehmet la Turquie est à la croisée d’un chemin, sur la route du Refah( partit islamiste associé au pouvoir depuis la fin des années 90) ou dans le sillon d’Atatürk, père de l’Etat moderne ; je l’espère tout simplement un peu plus loin du chant des sirènes.

Aymeric

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